Les Fous littéraires d'André Blavier

La réédition des Fous littéraires est un événement. On l'attendait depuis fort longtemps car son édition originale de 1982, introuvable, figurait sur les catalogues des libraires d'anciens à des prix exorbitants. Ce volumineux ouvrage imprimé sur papier bible est plus qu'un livre. À dire vrai, le "Blavier" est une bible destinée aux amateurs de curiosités. Sous son apparent exotisme, cette somme est l'ouvrage de référence des auteurs qui n'en ont pas, une encyclopédie de thèses saugrenues, de manies et d'éructations débordantes, de poésies cocasses, d'inventions langagières et de fantaisies mirobolantes souvent délectables. Né en 1922 à Hodimont, près de Verviers en Belgique, André Blavier a consacré de longues années à ce sujet entre autres activités. Bibliothécaire d'une curiosité immense, il fondait en 1953 la revue Temps mêlés sur ce programme : "Le mois est haïssable et la faim du moi difficile. Nous déclarons les temps mêlés." Il s'est aussi intéressé à Matisse et perpétua la mémoire de Raymond Queneau qui, après Charles Nodier, Octave Delepierre (1804-1875), Philomneste Junior (alias Gustave Brunet, 1807-1896), le faux Russe Tcherpakof et de nombreux autres, compila des informations sur les fous littéraires dont il nourrit ses Enfants du limon (NRF, 1938). Partiellement dévoilée en avril 1956 par la revue Bizarre qui consacrait sa livraison aux "hétéroclites et fous littéraires", la bibliothèque reconstituée par le bibliophilou Blavier regroupe des textes rares qui ont poussé dans une indépendance d'esprit totale et sans souci du qu'en dira-t-on. Après avoir défini dans une longue et plaisante introduction le cadre de son étude n'est pas admis chez les fous littéraires qui veut-, il précise judicieusement que "L'appellation de "fou littéraire" ne comporte rien de péjoratif". Les critères de sélection sont stricts et réclament notamment qu'un fou littéraire n'ait pas de distance critique avec ce qu'il écrit. Enrichi de nombreuses illustrations, le fabuleux volume augmenté propose un parcours dépaysant à travers plusieurs classes d'auteurs. Les cas repérés, près de trois mille selon l'index, sont regroupés par "spécialités". On y trouve les Cosmogones, les Philosophes de la nature, les Prophètes, visionnaires & messies, les Quadrateurs (du cercle), les Astronomes & météorologistes, les Persécutés, persécuteurs & faiseurs d'histoire(s), les Savants, les Médecins & hygiénistes, les Inventeurs & bricoleurs, les Candidats, les Philanthropes, sociologues & casse-pieds et puis, bien sûr, les Romanciers & poètes qui n'ont jamais démérité. Entre Amadis, l'auteur de l'Écriture universelle (1892) et Strada, responsable d'une Épopée humaine en vingt-quatre volumes et cent mille vers (1895), la compilation analytique jovialement analytique- signale des centaines de brochures, plaquettes et livres obstinément introuvables dont l'intérêt saute à l'oeil. C'est le cas du typographe Nicolas Cirier qui publiait L'Apprentif Administrateur, pamphlet pittoresque (!) littérario-typographico-bureaucratique (sic, 1840) dont les délires astucieux reparaissent (Plein Chant, 120 FF). Témoin aussi Paulin Gagne, le célèbre avocat (1808-1876) qui proposait la création d'une langue universelle d'après les principes de la "monopanglotte qui veut former cette langue avec les mots racines de toutes les langues" et suggérait, entre autres solutions aux problèmes sociaux "la proclamation d'un archipontife et d'une archimonarque (...) la destruction du spirisatanisme (...) la plus haute protection pour la culture du froment, et l'arrachement graduel des vignes, des mûriers et autres objets de luxe pernicieux (ainsi que) l'enrégimentation des gens de lettres". Et allez donc. Témoin, enfin, Jean-Pierre Brisset, l'un des plus sérieux clients de Blavier. La publication par Gilles Rosière du Brisset sans peine (Deleatur, 60 FF) concomitante à la réédition de la biographie de ce "Prince des penseurs" par Marc Décimo (Presse du réel, 796 p., 200 FF) souligne l'importance de Brisset qui, en dehors de ses trouvailles linguistiques, faisait remonter toute l'humanité à la grenouille. N'en déplaise aux MM. Prudhomme de notre époque, les fous littéraires passionnent les lettrés. Ils leur procurent une incroyable sensation de liberté. Pensons, suggèrent les hétéroclites, sans le secours des béquilles de la rationalité ou des avis communs. La grande fraternité des excentriques, des originaux, des mythomanes, des paranoïaques, des plumographes kilométriques et autres inventeurs siphonnés a des tas de choses à nous apprendre sur notre humanité. Dans la bonne humeur.

Quelques extraits lus dans « Les fous littéraires » d’André Blavier

Dubuffet, pataphysicien, poète, peintre, musicien, théoricien de l’Art brut décrète(in Acta Neurologica et Psychiatrica Belgica) : « Il n’y a pas plus d’art des fous que d’art des dyspeptiques ou des malades du genou. »


Quelques titres d’ouvrages vraiment singuliers, cités parmi des milliers d’autres :

- « Des merveilleux effets de la vis d’Archimède, rapprochés des mystères de la religion» de l’abbé Mousseau, professeur à la Rochelle, 1820.
- « De l’influence des queues de poisson sur les ondulations de la mer » Ernest Reyer, compositeur, 1895.

Donc Blavier a chapitré ces « fous littéraires » entre les :
- Mythiques et étymologues
- Cosmogones
- Prophètes, visionnaires et messies
- Quadrateurs
- Astronomes et météorologistes
- Persécuté, persécuteurs et faiseurs d’histoires, plaideurs, récriminants, autojustifiants et preneurs d’opinion à témoin…
- Savants
- Médecins et hygiénistes
- Inventeurs et bricoleurs
- Candidats
- Philanthropes, sociologues et casse-pieds
- Romanciers et poètes
- La condition asilaire

Sous la rubrique « Candidats » un certain Joseph Aubril propose le droit à la particule pour tous les français…

Sous la rubrique « Persécuté… » Domergues Augustine publie une « Circulaire pour dénoncer des crimes imaginaires »

Sous la rubrique « Inventeurs et bricoleurs » E.-T. Pétin, bonnetier à Paris, publie en 1850 « Un projet de locomotive aérienne »..qui comporte quatre énormes sphériques à la file…avec en dessous un balcon suspendu long de deux cents mètres…

Sous la rubrique « Mythiques et étymologues » Kojo Tovalou Houenou publie en 1922 « L'involution des métamorphoses et des métempsychoses de l'univers, Tome premier. L’involution phonétique ou méditations sur les métamorphoses et les métempsychoses du langage……….(certainement à lire d’urgence !)

Dans la même rubrique l’abbé Térence-Joseph publie en 1856 (cramponnez-vous !) « Nouvelle géométrie, ou Abrégé des mathématiques célestes, présentant les moyens d'obtenir, à peu de frais, les déterminations absolues de tous les atomes de l'étendue physique, par la seule coopération de trois règles, les mêmes qui ont développé l'Alpha mathématique ou première unité, résultat de l'heureuse découverte de la Quadrature du cercle

Toujours dans la même rubrique D. Périer nous sort en 1883 « La vérité sur l’art d’écrire. Ecriture universelle. Livre tout de discussion sur l’inutilité de l’orthographe et sur l’art de représenter la parole, par le solitaire de Montretout »..annoté par Blavier « Preuve comme quoi l’écriture sans orthographe n’altérera en rien les beautés de la littérature française »

Au rayon « Cosmogones » l’employé au chemin de fer du Nord publie en 1854 « La cause du mouvement des tables tournantes »

Une rareté chez les « Prophètes, visionnaires et messies »…Alfred Poncelet annonce « Au nom du Créateur des Cieux et de la Terre »…je cite :
- Je m’excuse de m’être trompé en annonçant la fin du monde pour l’an 1948. Actuellement cela ne tiens qu’a un fil.

Les « Quadrateurs » sont légion, surtout ceux du cercle…à noter cet anonyme et spirituel joujou patriotardif :
« Cet éteignoir armé, le casque du Prussien,
Cloche à melons que pare une pique acérée
Malgré sa forme ronde a trouvé le moyen
De coiffer l’Allemand dont la tête est carrée.
Quel étonnant miracle accomplit ce couvercle,
L’impossible problème est enfin résolu ;
La quadrature du cercle. »

Dans la série « Astronomes et météorologistes » Pierre-Louis Le Barbier, français et se donnant les titres de Dominatmosphérateur, Dominaturalisateur, Doministérisateur, Dominhominisateur, Retempérisateur, Prolongavisateur du monde entier, Températurisateur, Presqu’omnipotensutilisateur omnibus et, par un hiver doux et sans interruption de combustible (bois ou charbon), Donamillionisateur, Donamilliardisateur et, par la pluie tombant à propos, Donaminodorisateur…(ouf c’est fini) Donc ce génie publie des « Instructions pour les marins » dans lequel (entre autre) il affirme avoir vu des bâtiments descendre et monter la rivière, toutes voiles dehors, passant l’un à côté de l’autre..

Dans la même série, Pierre Sindico publie en 1888 « L’immobilité de la terre graphiquement démontrée au moyen d’un fil à plomb »

Pour terminer Louis Waelput, major retraité nous assure dans une publication de 1889 que le climat se répète tous les 71 jours 5/6 (« à une heure près »)

La rubrique « Persécuté, persécuteurs et faiseurs d’histoires, plaideurs, récriminants, autojustifiants et preneurs d’opinion à témoin… » n’est pas triste non plus avec :
« La Brisséïde » Brochure publiée en 1867 contre le baron Brisse, gastronome. Cette brochure est publiée « un mois avant le renversement des casseroles compromettantes et la cessation des oracles » Elle comporte des –brutalités ïambico-philanthropico-gastronomico-copronymiques_ c’est-à-dire des aphorismes contre la gastronomie, qui n’est que « l’hypocrisie de la gourmandise »

Dans la catégorie « Savants » l’abbé Germain Vieules publie en 1914 « Histoire génétique pedigree d’une famille de haricots. Une révolution biologique ! » avec en préface « Je vous adore dévotement, ô Dieu immense, vraiment caché sous ces figures haricotaines »

Dans la vaste rubrique « Inventeurs et bricoleurs » Blavier nous cite des ouvrages s’occupant du mouvement perpétuel, en particulier « La machine à aimer » de Cami (1948) dont une certaine Petroucka Labibine (sic), étudiante en sciences exactes, se dit « prête à sacrifier sa virginité pour chercher le secret du mouvement perpétuel »……………….que découvrent enfin San A (resic) et Mado Moulfol dans « Tire-m’en deux », 1979

Et enfin, toujours sous la même rubrique un certain Georges-André Berthelot publie en 1919 « Arts-Science-Progrès »…il se définit ainsi : Artiste peintre, poète, sculpteur, obélistologue et physicien…inventeur de 500 inventions brevetables et de la solution du problème de la circulation urbaine, mondiale, rurale et routière, sans passerelles ni souterrains, ni sens unique… Quelques-unes de ses inventions :
- 1915 : Inventeur d’un élément nouveau dans l’art de photographier à main levée avec un simple crayon.
- 1919 : Ronds tournants à placer au milieu des chaussées pour y faire changer la direction aux autos sur place.
- 1920 : Inventeur des maillots coloriés pour numéroter les cyclistes à l’arrivée au peloton à 60 km à l’heure.
- 1936 : Découverte de la loi ancienne astronomique d’après l’inscription de l’obélisque de Louqsor….(que je détaille pas vu que j’ai la tête qui me tourne…)
…et ce cher Georges-André termine par ceci « J’ai suffisamment de mérite pour obtenir : 1° la rosette, 2°le Prix Nobel de Physique, 3° le Panthéon, 4° ma statue, ou les 500 milliards »

Voilà c’est finite. J’ai vraiment bien aimé cet énorme bouquin. Le reste est à savoir où situer exactement ce genre de fous : Ceux qui ont publiés ces merveilles…celui qui en a fait le catalogue et les descriptions…ceux qui les lisent…celui qui en fait la collection…celui qui……………..

ça c'est du résumé Pierrot!!!
tu fais pas dans la demie "démesure"!!!
J'aime ce genre de folie douce, dont je suis purement et simplement atteint..
Donc je confirme que le lectorat est aussi atteints que l'écrivain, mais que l'éditeur a un pète aussi....